C'est un drôle de chat. Ma maîtresse l'appelle Mandoline, et Mandoline la suit partout.

   

Une chronique de La Louve. Août 2004

Mandoline.


Elle parle une drôle de langue. Ici, seuls les perroquets sont polyglottes, ils imitent le chien, les chats et les humains. Un de ces jours, je suis sûr qu'ils vont aussi s'amuser à bêler. Ma maîtresse leur dit parfois : vous allez me faire devenir chèvre…
Le langage de Mandoline est surprenant, plus guttural que le nôtre, et plus sonore aussi. Moi qui suis un abyssin, je roucoule plutôt que je ne miaule, mais Mandoline, c'est encore autre chose. Quand elle se sent toute seule, elle lance des appels tellement déchirants, que le premier soir, elle a fait pleurer mon petit maître, qui voulait la prendre avec lui dans sa chambre pour la nuit. Maintenant, elle est rassurée, mais ses petits appels restent attendrissants, et elle fait craquer tout le monde. Elle connaît déjà son nom, et elle répond par un léger bêlement quand elle entend prononcer : Mandoline, Mandoline….

Mandoline mange aussi de drôles de choses. Comme nous, elle boit du lait. Parce qu'elle n'a plus sa maman, ma maîtresse lui donne de grands biberons de lait qu'elle avale gloutonnement. Quand elle a faim, elle va se poster en bêlant devant le micro-onde. Et elle goûte même aussi à nos croquettes. Mais quand elle a fini et qu'elle sort au jardin, figurez-vous qu'elle arrache de l'herbe, des feuilles, des écorces, et qu'elle mâchouille tout ça avec délectation… et ce n'est même pas de l'herbe à chats!
Parfois, elle arrache des feuilles aux rosiers de ma maîtresse, qui elle s'arrache des cheveux en criant au sacrilège. Il faut dire que quand nous, les chats, on lui ramène un oiseau pas tout à fait mort, pour qu'elle joue un peu, et pour qu'elle apprenne à chasser, elle crie aussi au sacrilège! Les humains ont vraiment l'esprit étroit !

Quand Mandoline a mangé de l'herbe, du foin, ou les feuilles des rosiers de la maîtresse, elle s'installe sur un fauteuil, et on dirait qu'elle mâche du chewing-gum. Elle somnole, puis s'endort doucement, en ruminant. Quand elle est profondément endormie, elle prend des positions d'abandon aussi attendrissantes que moi, et même que mon copain le chartreux, qui est sans conteste le champion des canapés avec siestes alanguies et ventre offert.

Mandoline n'a ni moustaches, ni vibrisses. Ma maîtresse dit qu'un jour elle aura peut-être une barbiche. Je me demande bien ce que c'est, une barbiche. En attendant, elle a sous le cou deux petites pendeloques, ça s'appelle des pampilles, m'a-t-on dit, et j'aime bien jouer à essayer de les attraper. On dirait des décorations de Noël…Elle aime bien se gratter le crâne sur un morceau de bois, peut-être à cause de ces drôles de dents qui poussent sur sa tête, et qu'on appelle des cornes.

Pour jouer, je lui donne des petits coups de patte. Pour jouer, elle me donne des petits coups de tête. Elle me tire même parfois par une oreille, avec délicatesse. Sur le sommet de son crâne, elle a donc deux petits bouts de corne qui poussent. Je voudrais bien avoir un jour les mêmes. Je me regarde tous les matins dans la glace, mais je ne vois rien pousser. Peut-être faut-il manger de l'herbe pour que ça pousse. J'ai essayé, mais ça m'a fait vomir. Et ça ne vaut pas les croquettes, ou la viande. Je sais que les humains parfois renoncent au gratin dauphinois pour être aux normes de l'esthétique ; mais je ne crois pas que je saurai me mettre à l'herbe pour être beau. N'empêche, une belle paire de cornes, ça impressionnerait les copains. Ma maîtresse dit qu'on peut s'en procurer autrement, mais elle a un drôle de rire idiot quand elle dit ça, et je ne vois pas ce qu'elle veut dire.

Par contre, ma réputation, en tant qu'abyssin, de meilleur grimpeur de la famille est en train d'en prendre un sacré coup. Ca m'embête et je suis un peu jaloux. Pour l'instant, c'est encore moi qui grimpe le plus haut, sur le prunellier, je vais jusqu'aux dernières petites branches qui touchent le ciel. Mandoline n'a pas encore essayé. Mais à la maison, elle saute déjà sur le piano, et elle a cassé une jolie statue. Moi, quand je saute sur le piano, je ne casse rien, et en plus il m'arrive de jouer de la musique .La maîtresse dit alors parfois que ce sont ses oreilles que je casse, mais c'est comme pour les cornes, pas très clair pour un chat, même intelligent comme moi!

Mandoline a essayé de se coucher dans une de nos corbeilles. C'était drôle, parce qu'elle a beau se faire toute petite, elle ne tient pas, et elle s'obstine. La panière du chien lui conviendrait mieux, mais il grogne dès qu'elle s'approche, et je sais qu'il vaut mieux être prudent : le jour où j'ai voulu goûter à ses croquettes à lui, il m'a clairement fait comprendre que, tout chats qu'on était, on n'avait pas tous les droits. Quand Mandoline aura ses cornes d'adulte, le chien va être étonné… En tout cas, elle grimpe très bien sur nos arbres à chats, et elle s'installe tout en haut, sur nos plate-formes préférées. C'est drôle de la voir se poser, on dirait qu'elle veut faire une prière, elle commence par s'agenouiller, puis elle essaye de caser son arrière-train sur la plate-forme, et ça tient tout juste !!! Moi, je la trouve drôle, cette Mandoline, même si elle me prend ma place, parfois, dans les hauteurs.

Mandoline ne va jamais dans nos litières, et elle fait parfois pipi sur le tapis. Ma maîtresse l'emmène alors dehors pour lui faire comprendre qu'il y a des endroits pour ça, comme elle avait fait avec le chien quand il était petit. Le chien, ce lourdaud, avait fini par apprendre, je ne sais pas si Mandoline apprendra aussi. Quand elle sera grande, si elle n'a pas appris, elle ne pourra plus entrer à la maison. Et moi, j'aime bien Mandoline, alors j'espère qu'elle deviendra vite propre. D'ailleurs, entre nous, nous qui avons la réputation d'être propres, nos hormones parfois nous poussent à quelques exactions bien odorantes. Enfin moi, ces odeurs là, j'adore, mais pas les maîtres, mais alors pas du tout…

Dans le jardin, Mandoline fait de drôles de cabrioles, on dirait qu'elle danse, avec ses pattes arrière qui partent sur le côté, et son joli petit derrière qui saute en l'air. Elle saute au milieu des herbes hautes de ce printemps pluvieux, et elle surgit comme un petit diable, avec ses cornillons au sommet de sa tête, et des gestes tout gracieux sur ses grosses pattes de bébé. Elle est espiègle et facétieuse, et malgré sa grande taille, elle freine toujours à temps avant de nous renverser, et elle est d'une grande adresse. Je n'ai pas peur d'elle.

Pour la nourrir cet hiver, les maîtres sont allés chercher du foin, et nous les chats, on est ravis, car ça sent très bon et on adore se coucher sur les bottes odorantes et douces. Et quand la maîtresse me prend dans ses bras, elle me dit d'un air gourmand que je sens bon le foin, et que c'est délicieux. Un jour, celle-là, c'est sûr, elle va brouter aussi…

Mandoline a un pelage qui ressemble un peu au mien, sauvage, tiqueté, roux, avec une ligne plus foncée sur la colonne vertébrale. Mais elle a un anneau blanc sur l'une de ses pattes, on dirait une bague ou une jarretière, et son bout de queue est tout blanc aussi. Elle utilise sa queue comme le chien. Moi, quand j'agite la queue, c'est que je ne suis pas content, elle , au contraire, elle exprime sa joie de vivre avec son petit moignon de queue au bout tout blanc qui s'agite frénétiquement. Sa fourrure est très douce, beaucoup plus douce qu'une biche, presque aussi douce qu'un chartreux, douce comme un abyssin.

Mandoline est une jolie petite chèvre alpine chamoisée.

Il paraît qu'il y a des gens qui mangent du chevreau. Et pourquoi pas aussi du chat ?